L’entreprise contributive, le seul modèle désormais viable ?

Les cosmonautes qui observent la terre vue du ciel sont presque tous pris du même syndrôme: tout d’abord un sentiment aigu de fragilité… Fragilité de la vie sur ce minuscule vaisseau intergalactique qu’est la terre. Comme s’il fallait ce changement de point de vue et être physiquement baigné dans cette atmosphère minérale, froide et terriblement hostile, pour admettre que l’émergence de la vie sur terre est un miracle. De quoi changer radicalement de point de vue sur notre fragilité en tant qu’espèce Humaine.

Suivi, dans un deuxième temps, d’un sentiment d’émerveillement profond et de gratitude vis-à-vis de cet oasis qui nous héberge : notre terre, notre « mère », au sens littéral. Et la chance que nous avons d’y habiter…

Vous et moi ne sommes pas allés dans l’espace. Pourtant, cette fragilité, beaucoup de nous la ressentent à nouveau au travers de cette épreuve de la pandémie. Fini le sentiment d’invincibilité, d’espèce dominante de la création ! Nous sommes redevenus mortels. Et cela nous est difficilement acceptable. Nous préférerions trouver un coupable pour expliquer cette « crise », tellement il semble inconcevable qu’elle ne soit pas due à l’Homme tout puissant… Les théories complotistes vont bon train, mais il nous faut pourtant se rendre à l’évidence : l’espèce Humaine est « régulée », comme le sont toutes les autres sur terre. La pression que nous faisons subir au vivant génère en retour des zoonoses, des virus « concurrents » qui sont plus forts que nous.

 

La planète a atteint ses limites

Alors bien sûr, les vaccins font leur arrivée et redonnent l’espoir d’un retour au monde d’avant, où l’Homme domine la nature.

Mais cette bonne nouvelle doit-elle (déjà) nous faire oublier qu’il n’y aura pas de vaccin contre le réchauffement climatique, contre l’effondrement de la biodiversité, la déforestation, l’acidification des océans ? Nous sommes face à une vague, et on n’arrête pas les vagues. Au mieux pouvons-nous apprendre à surfer.

 

Les limites planétaires, Selon le « Stockholm Resilience Center » 

 

 

Les limites planétaires sont ce qu’elles sont, et les scientifiques tentent de les comprendre. Notre économie, mise à genou pour quelques années, ferait un pas décisif dans le sens de sa propre résilience si elle intégrait cette loi de la nature au lieu de l’ignorer. Une règle universelle et simple, qui consiste à ne pas prendre plus à la terre qu’elle ne peut en régénérer. Quel est l’intérêt d’entretenir l’espoir du maintien d’un modèle de développement économique qui ignore les lois fondamentales de la physique ?

C’est être lucide que d’affirmer que l’économie devra rentrer dans les règles de fonctionnement que la planète nous impose, et non pas l’inverse…

Les tenants du bon sens économique nous expliquent que le développement durable est un « luxe » qui coûte cher, mais que penser des conséquences économiques qui résultent des mauvais traitements que notre modèle économique fait subir à la planète? D’après la banque mondiale(1), c’est une contraction de 5,2 points de croissance mondiale qui est attendue pour 2020, qui se chiffre en trilliards de dollars à cause de la COVID, qui va se prolonger plusieurs années et résulte des pressions trop fortes exercées sur les ecosystèmes vivants. Le rapport Stern (2) nous avertissait déjà des futures pertes significatives de PIB mondial dû au réchauffement climatique, jusqu’à 20% – depuis jugé comme étant sous-estimé. Le rapport récent de la Plateforme Intergouvernementale sur la biodiversité et les services Ecosystémiques, l’IPBES (3), quant à lui, précise que « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Il est également évident que la stabilité politique, sociale et la paix dépendent de notre capacité à nourrir le monde, de l’accès à l’eau, de la justice sociale. On connait l’effet des guerres sur l’économie.

Quelle autre catastrophe doit survenir pour nous ouvrir les yeux et nous faire accepter une fois pour toute que oui, économie, social et environnement sont radicalement interdépendants ? Un écosystème qui a tout intérêt à progresser main dans la main, voire la collaboration bienveillante, de même qu’une entreprise ne prospère pas dans un désert.

 

Vers l’entreprise contributive

Certains dirigeants de grandes entreprises, sous l’emprise de théories transhumanistes, voudraient nous faire croire que la solution se trouve du côté des sciences et technologies. Comme si le fait d’avoir fait voler des avions, posé le pied sur la lune et greffé des cœurs nous avait élevés « au-dessus » de la nature. Comme si elle n’était plus qu’un « environnement », à côté de nous, voire « en dessous » de nous, au lieu de la matrice dont nous dépendons intégralement, encore et toujours, à chaque instant. Quel manque de lucidité!

Les entreprises qui au contraire intègrent les limites planétaires dans leur fonctionnement et se fixent pour objectif la régénération des écosystèmes ont une longueur d’avance, pour la simple raison qu’elles préservent la ressource dont leur business dépend, par la mise en place de chaînes d’approvisionnement qui visent l’équilibre entre les prélèvements et la régénération naturelle, voire la restauration des écosystèmes.

Cette démarche est évidemment pertinente pour les entreprises de secteurs dont les intrants sont issus de matières premières produites par les cycles naturels courts, comme la nourriture végétale et animale, les fibres (le textile, le papier, le bois), et tout ce qui dépend directement du vivant (les peaux, les fourrures, les plantes médicinales).

Les secteurs qui dépendent de prélèvements minéraux (mines, ciment, sable, acier, pétrole, terres rares) doivent désormais s’engager dans une démarche radicale de réduction de leur consommation et d’économie circulaire afin de faire perdurer plus longtemps les matières en raréfaction, dans des solutions « low tech » non dispersives, c’est-à-dire dont l’agencement des matières premières permet leur récupération puis leur recyclage. Le tout combiné à des modèles d’affaires tournés vers l’économie de fonctionnalité, afin que l’intérêt des entreprises change de camp, vers la conception de produits les plus durables possibles, tout en convertissant leurs revenus vers la commercialisation des services rendus. Enfin, il sera probablement indispensable d’y ajouter un zeste de décroissance, subie ou choisie, où la qualité et la sobriété prennent doucement le pas sur le plaisir que procure l’abondance – pour ceux qui ont la chance d’y accéder !

Toutes ces solutions existent, souvent sous forme d’embryons parcellaires, souvent dans les start-ups, les PME, mais pas seulement. Si ces premiers pas sont encourageants, le niveau de changement requis nécessite de reprogrammer intégralement et radicalement les réflexes économiques du vieux monde, les modèles d’affaires, les habitudes. Nous ne savons d’ailleurs pas toujours comment faire, et pour être tout à fait honnête, pas souvent.

Mais c’est aussi la seule voie qui donne la perspective d’un monde désirable, où les entreprises ont une mission sociétale dont l’impact est suffisamment fort pour donner envie aux meilleurs talents de les rejoindre dans un combat qui fasse sens. Quoi d’autre pour remobiliser sérieusement les employés, la jeune génération, après ce que nous venons de vivre ? Quoi d’autre pour générer l’enthousiasme, le rêve ? Je ne vois personnellement pas d’autre issue qu’une sortie par le haut avec pour moteur plus que l’espoir : la conviction profonde que c’est possible. Car c’est possible, ne pensez-vous pas ?

 

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ! »

Mark Twain

 

Sources :

(1) article de presse de la banque mondiale = world bank

(2) rapport STERN = rapport stern

(3) rapport sur la biodiversité de l’IPBES = https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr